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CONTES


La tsarevna et les sept frères


Il était une fois un tsar très puissant, dont l'épouse était extrêmement belle. Il l'aimait par-dessus tout et ne pouvait imaginer la quitter un seul instant.

Un jour, un homme, jaloux de son bonheur, vint dire au seigneur du pays voisin que le tsar préparait une offensive contre lui, qu'il rassemblait sur ses frontières une grande armée et qu'il allait bientôt l'attaquer. Le seigneur décida aussitôt de le devancer.

Quand le tsar apprit que son voisin avait levé ses troupes, il fut accablé. Depuis toujours, il n'avait cesse de maintenir la paix. Il partit donc avec sa suite pour régler ce malentendu et conclure une paix durable avec le seigneur voisin.

La tsarine supportait très mal d'être séparée de son mari. Elle restait tout le jour assise à sa fenêtre à regarder le paysage. Ainsi vit-elle successivement fondre la glace sur la rivière, fleurir les arbres au printemps, mûrir le blé sous le chaud soleil de l'été, tomber les feuilles en automne, puis danser les premiers tendres flocons de neige de l'hiver. Neuf mois s'étaient écoulés et le tsar n'était toujours pas revenu.

Le jour de Noël, la tsarine donna naissance à une magnifique petite fille. Les cloches sonnèrent pour fêter l'heureux événement et, comble de bonheur, le tsar rentra enfin de son long voyage. Il avait conclu une paix durable avec son voisin.

Mais le bonheur est fugace. Quand on croit le tenir, il s'enfuit comme un oiseau apeuré. Lorsque la tsarine aperçut le visage de son bien-aimé, son coeur s'arrêta de battre. Elle lui sourit pour la dernière fois et mourut dans ses bras.

Le tsar faillit perdre la raison, tant son chagrin était grand.

Le temps guérit, dit-on, toutes les peines. Un an passa, puis deux, puis trois... et un jour, le tsar prit une autre femme pour s'occuper de sa petite fille. Elle était belle comme l'étoile du Berger et ses yeux brillaient de mille feux comme des émeraudes.

Mais elle était aussi orgueilleuse et cachait son âme noire sous une gentillesse feinte.

La nouvelle tsarine possédait un miroir magique. Elle passait le jour entier à s'y admirer.

- Miroir, précieux miroir, dis-moi qui est la plus belle ? - demandait-elle sans cesse.

- C'est toi, ma maîtresse, la plus belle de toutes, - répétait le miroir.

La tsarine n'avait pas même un regard pour la fille du tsar qui grandissait de l'autre côté du palais. C'était maintenant une jeune fille aux yeux limpides, aux sourcils noirs et bien dessinés, à la peau blanche comme les perles. De plus, elle était modeste et agréable.

Quand elle promit son coeur au jeune prince Yélisseï, son père en fut heureux. Il lui offrit pour dot une douzaine de châteaux forts et sept villes, puis il prépara la noce. La deuxième tsarine se prépara elle aussi. C'était comme si elle allait elle-même se marier. Elle mit sa plus somptueuse robe, brodée de perles, et se regarda, satisfaite, dans son miroir.

- Miroir, précieux miroir, dis-moi qui est la plus belle ? - demanda-t-elle.

- La plus belle de toutes les femmes, - répondit-il, - c'est la jeune tsarevna. À son éclat rien n'est pareil.

Une immense colère envahit la tsarine.

- Arrête de mentir, stupide miroir ! - hurla-t-elle. - Comment oses-tu me comparer à cette jeune personne ? Elle, la plus belle ? Regarde donc mes yeux ! Ils brillent comme des émeraudes. Et mon visage ? On dirait une rose épanouie. Avoue ! Je n'ai pas d'égale au monde.

- Tu ne pourras pas faire d'un mensonge une vérité, ni d'une vérité un mensonge. La plus belle de toutes les femmes est la jeune tsarevna.

La tsarine, furieuse, jeta le miroir sous son lit et appela Tchernavka, sa femme de chambre.

- Écoute-moi bien, - lui dit-elle. - Tu vas attirer la tsarevna au plus profond de la forêt, l'attacher à un arbre et la laisser à la merci des animaux sauvages. Elle ne mérite pas autre chose !

Tchernavka fut saisie d'effroi, mais n'osa protester. Elle craignait cette maîtresse cruelle qui n'hésitait pas à la fouetter.

Quelques instants plus tard, elle s'approchait de la tsarevna, lui chuchotait à l'oreille qu'elle avait quelque chose de mystérieux à lui montrer et lui donnait rendez-vous dans la forêt. Comme les plumes sont liées aux oiseaux, la curiosité est liée aux femmes. La jeune fille se rendit donc à travers les marécages dans la forêt profonde.

La domestique se saisit d'elle et l'attacha à un arbre avec une corde.

- Tchernavka, pourquoi es-tu si fâchée ? - demanda la jeune fille, la voix tremblante. - Si je t'ai fait du mal, dis-le-moi, je te demanderai pardon à genoux.

La femme de chambre, qui n'était pas méchante, ne put résister : elle détacha la jeune tsarevna.

- Va où tes yeux te guident, - la supplia-t-elle. - Ne reviens pas au palais, ta belle-mère te tuerait !

Bientôt, on commença à chercher la tsarevna. Les gardes fouillèrent le palais de fond en comble, mais en vain : la tsarevna était introuvable.

Pendant ce temps, la pauvre jeune fille errait dans la forêt à travers les buissons épineux. À l'aube, épuisée, elle aperçut une cabane. Elle allait s'approcher quand un chien aboya et s'élança vers elle. La tsarevna prit peur, mais le chien lui fit fête comme s'il la connaissait depuis toujours. Il l'entraîna vers une courette bien tenue, juste à côté d'un petit jardin plein de fleurs. La maison était silencieuse, comme si tout le monde dormait.

- Il y a quelqu'un ? - demanda la tsarevna.

Mais personne ne lui répondit. La jeune fille poussa la porte qui émit un léger grincement et jeta un coup d'oeil à l'intérieur : de jolis tapis brodés ornaient les murs, une grande table de chêne trônait au centre et le feu crépitait dans un vieux poêle.

- Il y a quelqu'un ? - répéta la tsarevna.

Mais personne ne lui répondit. La jeune fille pensa que les habitants de cette maison avaient dû sortir un moment et décida de les attendre. Pour passer le temps, elle donna un coup de balai sur le sol, nettoya la mèche de la lampe à huile, coupa du bois et raviva le feu dans le poêle. Elle n'avait pas dormi de la nuit et, comme elle était très fatiguée, elle s'allongea sur un banc pour se reposer. Elle s'endormit aussitôt.

Le temps passa comme l'eau de la source. Au loin, les cloches sonnèrent les douze coups de midi. Le portail du jardin grinça et, sur le seuil de la maison, apparurent sept frères vigoureux.

- Comme c'est propre ! - s'exclama le plus âgé d'entre eux en secouant la tête. - On dirait que quelqu'un est passé par ici. Qui es-tu, cher hôte ? N'aie pas peur, montre-toi. Si tu es un vieillard, nous serons volontiers tes petits-enfants. Si tu es un jeune homme, tu seras notre frère. Si tu es une femme âgée, nous te serrerons dans nos bras comme notre mère et si tu es une jeune fille, tu seras notre soeur.

La jeune tsarevna se réveilla, se leva de son banc, sourit à ses hôtes en leur souhaitant le bonjour et les pria de l'excuser d'avoir franchi leur porte en leur absence. Les sept frères en restèrent médusés. Ils n'avaient jamais vu une telle beauté.

- Que les bras m'en tombent, - chuchota le cadet, - si ce n'est pas la jeune tsarevna, la fille de notre tsar que l'on cherche partout.

Les sept frères prirent soin de la tsarevna. Ils lui donnèrent la place d'honneur à leur table, lui offrirent des gâteaux et coururent chercher du cidre. La tsarevna mangea peu, mais de bonne grâce. Puis ils l'installèrent dans une charmante chambre sous les combles et lui offrirent un lit confortable, pour qu'elle s'y repose.

Un jour suivait l'autre... La jeune fille ne s'ennuyait jamais : elle faisait de la couture, lavait le linge, nettoyait la maison et cuisinait ce que les sept frères ramenaient de la chasse.

Ces derniers étaient pleins d'énergie. Ils ne restaient jamais longtemps à la maison. Ils chassaient, parcourant la forêt profonde en tous sens, se battaient contre les Tatars et les Turcs, mais rentraient toujours avec plaisir à leur logis.

Les sept frères étaient tombés amoureux de leur charmante maîtresse de maison. Ils faillirent même se battre pour elle !

Et puis un jour, après avoir longtemps discuté entre eux, ils frappèrent doucement à la porte de la chambre sous les combles.

- Vas-y, parle ! - dirent six des frères au plus âgé d'entre eux.

- Qu'est-ce qui se passe ? - demanda la tsarevna en riant. - J'espère que vous ne tremblez pas de peur devant une jeune femme ! Dites-moi ce que vous avez sur le coeur.

- Tsarevna, - déclara le plus âgé des frères, - tu es notre chère soeur, tu t'occupes de nous comme une mère le ferait. Mais un homme a des yeux et un coeur et ne peut résister longtemps devant la beauté et la grâce. Je vais te l'avouer sans grands discours. Nous t'aimons tous, chère tsarevna. Choisis parmi nous selon tes sentiments. Les autres ne se fâcheront pas, et tu resteras leur soeur comme avant.

- Je vous aime tous, autant les uns que les autres, - répondit doucement la tsarevna, - vous m'avez si bien accueillie ! Vous êtes sages et courageux, mais j'ai déjà donné ma parole au prince Yélisseï que j'aime de tout mon coeur.

Le silence s'installa dans la pièce. Puis, soudain, les sept frères éclatèrent de rire.

- Tsarevna, - dit l'un d'entre eux, - excuse notre bêtise. Nous ne savions pas que tu étais fiancée. Oublie ce que nous t'avons dit. Nous serons tes frères fidèles.

Pendant tout ce temps, au palais, la tsarine était toujours fâchée avec son miroir. Mais ses flatteries lui manquaient. Aussi le sortit-elle de dessous son lit.

- Miroir, précieux miroir, dis-moi qui est la plus belle ? - demanda-t-elle.

- La plus belle, - répondit le miroir, - c'est la jeune tsarevna qui vit chez les sept frères dans une maison de l'autre côté de la forêt.

La tsarine enragea, ses cris retentirent dans tout le palais.

- Infâme traîtresse ! - hurla-t-elle à l'adresse de Tchernavka qu'elle avait fait appeler. - Comment as-tu pu me mentir avec tant d'effronterie ? Pars sur-le-champ dans la maison des sept frères ! Et fais disparaître la tsarevna ou je te mets dans les mains du bourreau !

Tchernavka, affolée, n'avait plus qu'à obéir. Elle se déguisa en vieille religieuse et partit pour la forêt.

La tsarevna était assise près de la fenêtre et regardait dehors en rêvant, quand le chien se mit à aboyer. Lui, d'habitude si calme, hurlait comme un loup en voyant venir une vieille religieuse.

Elle se leva pour calmer l'animal, mais rien n'y fit. Il grogna même quand elle voulut s'approcher de la religieuse pour lui donner un morceau de pain.

- Qu'as-tu aujourd'hui, mon chien ? - s'étonna la tsarevna. - Laisse-moi passer, tu ne me reconnais plus?

Mais le chien grognait toujours, tous crocs dehors. La tsarevna n'eut pas d'autre solution que de lancer le morceau de pain à la vieille femme par-dessus la tête du chien enragé.

- Dieu te protège, - murmura la religieuse. - J'ai quelque chose à te donner en échange de ton morceau de pain.

Elle sortit de dessous son habit une belle pomme rouge et la lança à la jeune fille.

- Bon appétit ! - dit-elle. - Tu verras, cette pomme est douce et juteuse.

Puis, elle fit demi-tour et repartit vers la forêt.

La tsarevna rentra dans la maison, suivie par le chien qui grognait toujours.

- Tais-toi, mon chien ! Calme-toi, - dit-elle distraitement en s'asseyant a son rouet.

Elle regarda la pomme brillante qui sentait si bon. Elle la coupa en deux. À l'intérieur se cachait une belle étoile de graines brun foncé.

« Cette étoile va sûrement m'apporter du bonheur », - se dit la jeune fille. Et elle croqua dedans. Dans l'instant même, elle poussa un petit cri et tomba par terre.

Les sept frères revinrent bientôt de la chasse. Ils appelèrent leur soeur chérie, mais, à leur grande surprise, elle ne répondit pas. Le chien se mit à hurler à la mort sur le seuil de la porte.

- Vite, mes frères ! - s'écria le plus âgé. - Il est arrivé quelque chose !

Ils se précipitèrent à l'intérieur de la maison et découvrirent la jeune fille couchée à terre. Elle ne bougeait plus, ne respirait plus.

- Réveille-toi, petite soeur ! - dirent-ils tous ensemble en lui caressant les joues et en arrosant son front de larmes.

Le chien grogna de nouveau. Il attrapa la pomme qui avait roulé sous le banc et y planta ses crocs avec rage. Il hurla de douleur et s'effondra. Les frères comprirent alors que la pomme était empoisonnée.

Ils s'agenouillèrent à côté de la tsarevna et se mirent à prier. Puis, ils l'enveloppèrent dans un suaire, posèrent son corps sans vie sur un lit et l'ornèrent des plus belles fleurs de la prairie. Ils veillèrent pendant trois jours et trois nuits. Tout au long de ces heures, ils espéraient que leur soeur allait se réveiller et que tout cela n'était qu'un affreux cauchemar.

Le quatrième jour, ils couchèrent le corps de la tsarevna dans un cercueil en pur cristal et le portèrent dans la forêt. Ils ne voyaient plus rien à travers leurs larmes et trébuchaient sans cesse, mais ils parvinrent néanmoins dans un labyrinthe de rochers où ils plantèrent six colonnes, sur lesquelles ils suspendirent le cercueil avec des chaînes d'or.

- Dors, chère soeur, belle tsarevna. Ton prince Yélisseï ne te prendra plus jamais dans ses bras, ton aimable sourire ne nous enchantera plus. Dors, soeurette, tu appartiens à Dieu désormais.

Au palais, la tsarine se regardait dans son miroir.

- Miroir, précieux miroir, dis-moi qui est la plus belle ? - demanda-t-elle.

- C'est toi, ma maîtresse, - répondit celui-ci.

La méchante femme se mit alors à danser et à tourbillonner comme un vol de papillons multicolores.

Le prince Yélisseï était accablé par le chagrin. Il errait de par le monde. Certains le prenaient pour un fou, d'autres riaient de lui, mais rien n'altérait son désir de retrouver sa bien-aimée.

Un jour, épuisé par une longue marche, il s'allongea dans l'herbe, les yeux levés vers le ciel.

- Cher soleil, - murmura-t-il, - tu voyages du matin au soir, tu regardes la fourmilière humaine, tu peux voir chaque coin perdu de la terre, aie pitié de moi. N'as-tu pas vu quelque part la jeune tsarevna, ma belle fiancée ?

Le soleil secoua sa tête dorée.

- Je suis vraiment désolé, - répondit-il, - mais je n'ai vu ta belle fiancée nulle part. Qui sait si elle est encore en vie... Peut-être qu'elle se cache pour je ne sais quelle raison, peut-être veut-elle tout simplement te faire souffrir un peu. Ou peut-être encore ne sort-elle que de nuit... Demande à la lune, elle voit tout ce qui se passe la nuit.

Le jeune prince remercia le soleil et attendit patiemment la venue de la nuit.

- Lune, - appela-t-il dès qu'elle se montra au-dessus des montagnes, - voyageuse nocturne, tu marches dans la foule des étoiles, tu chasses les ombres noirs de la nuit, tu vois tous les coins sombres. N'as-tu pas aperçu ma belle fiancée ?

Mais la lune secoua sa chevelure argentée.

- Je suis désolée, - dit-elle tristement, - mais je ne l'ai pas vue. Peut-être est-elle passée au moment où le vent m'a soufflé de la poussière dans les yeux. Lui qui est partout te sera sûrement de bon conseil.

Yélisseï partit aussitôt à la rencontre du vent :

- Vent, cher vent ! - lui dit-il. - Tu chasses les nuages dans le ciel et les vagues à la surface de la mer, tu passes à travers chaque fente, tu sais tout, tu as été partout. N'as-tu pas vu ma chère et belle fiancée ?

- Je suis navré de t'apprendre une si mauvaise nouvelle, - dit le vent en soupirant. - J'ai vu ta fiancée. Elle repose dans un cercueil de cristal au coeur d'un labyrinthe de rochers. Elle est pâle et inanimée.

Et le vent s'envola au loin, laissant le prince à son chagrin. Celui-ci resta longtemps immobile, foudroyé par la douleur, puis il réunit ses dernières forces pour monter sur son cheval et partit chercher la tombe de sa fiancée. Il voulait voir encore une fois son beau visage et lui faire un dernier adieu.

Son voyage fut long et difficile, mais il finit, un jour, par arriver en vue du labyrinthe de rochers. Dans le cercueil de cristal, suspendu par des chaînes d'or, reposait la belle tsarevna. Elle avait l'air de dormir.

Le prince ne put retenir son chagrin. Il se jeta sur le cercueil et frappa de ses poings avec une telle violence que le cristal se brisa. La belle tsarevna soupira et ouvrit les yeux !

- J'ai dormi si longtemps ! - s'étonna-t-elle.

Elle trembla et tendit les bras vers Yélisseï qui la serra contre son coeur, la couvrit de baisers, puis la souleva et l'emmena très loin du labyrinthe de rochers, dans une prairie inondée de soleil.

Quelques instants plus tard, ils galopaient ensemble vers la cour du tsar.

La tsarine, comme chaque matin, contemplait son reflet dans son miroir.

- Miroir, précieux miroir, dis-moi qui est la plus belle ?

- La plus belle est la jeune tsarevna, - répondit le miroir.

La tsarine poussa des cris de démente et jeta au loin son miroir qui alla se briser contre un mur. Puis elle sortit de sa chambre et se trouva face à la jeune tsarevna. Elle était plus belle que jamais, et l'éclat de cette beauté fut si intense que la tsarine ne put le supporter. Son coeur jaloux et méchant s'arrêta de battre. Elle tomba par terre comme une herbe coupée.

Que vous dire de plus ? La noce fut magnifique, on dansa, on se régala de plats exquis, on but de délicieuses boissons rafraîchissantes. Le soleil en personne souhaita bonheur et amour au prince Yélisseï et à sa belle et tendre femme.

J'y étais, mais le lendemain à l'aube, je suis reparti de par le monde.